PALIMPSESTE

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Le Hollandisme est un présentisme

Depuis les voeux présidentiels et la conférence de presse du 14 janvier, on ne cesse de gloser sur la nature de la politique suivie par le président Hollande : Est-elle sociale-démocrate ou sociale libérale ou tout simplement néolibérale ?

Du grain à moudre pour éditorialistes en manque

A ces fausses interrogations qui agitent le microcosme, nous ne répondrons pas. Car vouloir le faire suppose mener une étude approfondie d'histoire comparée des idées politiques  (entre la France et l'Europe, car pour reprendre le seul terme social-démocrate, il change de signification selon l'époque et le lieu : Lénine se considérait lui même comme un social démocrate puisqu'il voulait le socialisme et la démocratie des soviets) Je laisse cela aux spécialistes qui s'amuseront, je n'en doute pas, à couper les cheveux en quatre. Pourtant, si l'on cherche à qualifier la politique de Hollande sans avoir recours aux grilles classiques de l'analyse, nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que la "politique de l'offre" favorise éhontément les grandes entreprises en les exonérant de cotisations sociales. Ce privilège, impossible à nier, serait selon ses hérauts, bénéfique à l'emploi. Or, chacun sait que les multinationales en profiteront d'abord pour accroître leurs marges jugées insuffisantes par tous les crânes d'oeufs que pond l'Enarchie Hecienne. Une fois ces marges élargies, les actionnaires feront à leur tour leur ponction via les dividendes, ce qui réduira lesdites marges et servira de pretexte aux insignifiantes embauches qui en découleront. Quant aux PME et aux professions libérales, elles aussi exonérées, elles n'embaucheront que si leur carnet de commande est rempli, autrement dit si la consommation repart, ce qui avec 10 millions de pauvres, 5.5 millions de chômeurs, des salaires comprimés et des impôts en hausse, relève de la gageure.Nul espoir donc de trouver du "social" dans cette politique. La question essentielle ne porte donc pas tant sur la nature de cette politique mais sur le pourquoi.

Pourquoi alors que manifestement cette politique est à l'exact opposé de ce qu'est historiquement "la gauche", le PR la brandit-il à tout va ? Pourquoi mettre en oeuvre en France la saignée qui a achevé tous les pays d'Europe du Sud ? Même les économistes les plus modérés, du FMI à l'OCDE, rejettent aujourd'hui ces cures d'austérité à outrance. Seul le B-B (BCE/Berlin) qui a trop bien compris que ces politiques de dévaluations compétitives internes à l'UE permettaient aux financiers et aux retraités allemands de continuer à se gaver, s'arqueboute sur ces positions.

Pourquoi alors que les Etats-Unis,  le Japon,  la Chine ont engagé depuis longtemps une dévaluation monétaire (par création monétaire) pour gagner en compétitivité, la France et l'UE ne cessent de mettre en exergue une politique de compétitivité via la baisse du prix du travail ? L'Europe, et la France en fidèle caniche de l'Allemagne (en conformité avec ses intérêts nationaux, elle) font  l'exact inverse des autres puissances économiques mondiales. Il est d'ailleurs étrange que l'on entende pas à ce sujet les éditorialistes déclinistes habituels pérorer sur l'air bien connu : "faisons comme nos voisins qui savent bien mieux faire que nous. Silence radio, pas touche à l'euro fort.q

Voila donc une politique qui tire contre son camp politique, jugée inefficace par ceux là mêmes qui la jugeaient opportune hier, et à contre courant de ce qui se pratique ailleurs dans le monde. Voila la politique suivie par le Président Hollande. Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, ce président avait pour mandat de mettre un terme à cette doxa européenne : Rappelons qu'il a été élu sur un programme de renégociation des derniers traités européens (le MES Merkozy pour ne citer que le dernier en date) auxquels il n'a strictement rien fait amender. D'ailleurs, il n'a même rien demandé.

Où l'on voit que dès l'élection de mai 2012, Hollande a mis en oeuvre sans coup férir cette politique. D'où le caractère surréaliste d'un soit disant virage libéral en Janvier 2014. A l'exception d'un Laurent Mauduit qui l'avait exposé depuis longtemps, on a feint, sur toutes les ondes, de découvrir la nature du Hollandisme entre les voeux et la galette 2014. Notre pays ne compte-t-il que des ingénus ? A moins que ne pullulent les Tartuffe.

Un président dissimulateur ou manipulé ?

L'hypothèse selon laquelle Hollande enfourche les idées néolibérales parce qu'elles correspondent à ses convictions profondes pose problème. Le PS n'est pas (même aujourd'hui) peuplé de chauds partisans de la libéralisation et de la dérégulation. Même l'aile droite historique, de Fabius à Strauss Kahn, de Delors à Rocard se voulait sociale-démocrate. Les chômeurs ne cédaient pas la place systématiquement au chômage, les patrons n'usurpaient pas la place des salariés dans les discours au point que les seconds disparaissaient. Hollande qui a été à la tête de ce parti, l'a clairement recentré sur la droite mais tout de même. Autant dire que si F. Hollande est un fervent néolibéral converti au saint Marché depuis longtemps, il a du sérieusement mettre du vin dans son eau jusqu'à son élection !!

Reste la conversion récente, l'hypothèse la plus inquiétante. Les nouveaux convertis sont souvent les plus fanatiques, les plus aveuglés. Dans ce cas, Hollande est devenu de droite une fois élu président. Les cénacles, l'entre soi, les ors et les frivolités, le décorum et les égards dus à son rang, l'auraient lobotomisé depuis mai 2012. Cela ne tient pas la route, c'est trop tôt, trop fort, trop absolu.

Hollande en a-t-il ? des convictions s'entend. Je suis convaincu qu'il n'en a absoluement aucune. Déjà au coeur des années 1980, il animait "les trancourants", un espèce de club au PS qui était là pour essayer de démontrer l'inanité des courants internes au parti. Révélateur, dès les années 1980, Hollande se place au centre, jugeant que les tendances, les débats idéologiques peuvent se dissoudre dans une synthèse qui ne dit plus rien. Durant son passage au poste de 1er secrétaire, le PS a connu une turbulence idéologique majeure: le TCE en 2005. Divorce entre la base plutôt noniste et les dirigeants dans leur majorité favorables au oui. Vote en interne, très serré. Explosion du parti pendant la durée de la campagne référendaire. La sauce hollandaise tournait à l'aigre et achoppait déjà sur la politique européenne.Le conflit idéologique restait entier, mais cela ne fut nullement résolu dans les années suivantes. Jamais le PS n'a rouvert cette boîte de Pandore. Hollande n'avait rien à y gagner, il était pour le oui sans savoir pourquoi, il a gagné le vote en interne, cela lui suffisait comme légitimité. Quant au Non qui l'emporta finalement, cela lui glissa dessus comme sur les plumes d'un canard. On mit la poussière sous le tapis et on prépara la campagne de Royal, ça c'était du sérieux.

Cependant, le fait que François Hollande pense que les divergences idéologiques entre socialistes peuvent se résorber à coup de synthèse, ne prouve nullement qu'il n'ait aucune conviction idéologique. Mais la campagne des présidentielles de 2012 dévoile à mon sens quelque chose de bien plus révélateur. Son désintérêt manifeste pour l'Histoire- et l'Histoire de la Gauche en particulier - couplé à son incapacité à en reprendre le champ lexical (voir ici ) au profit de la sémantique libérale (déjà !) montrent à mon sens que l'homme est dénué de conviction profonde : il est étranger à la philosophie des Lumières, imperméable aux conquêtes révolutionnaires, ignorant des luttes ouvrières du XIX° siècle, peu connaisseur de la Révolution russe et goûte peu au front populaire, au programme du CNR, à 68 ou même à 1981. Hollande ne vit qu'avec son temps et refuse (ou se trouve incapable) de se placer dans un quelconque héritage clairement identifié de gauche. Il reprend des propos des libéraux du début XIX° siècle comme ceux de Jean Baptiste Say ("L'offre crée la demande"), vieux restes de son parcours scolaire, comme l'on récite des mantras.

Faire son trou dans le monde tel qu'il est

En politique étrangère, la démonstration n'en est que plus manifeste. Capable de plaisanter au dîner du Crif sur l'heureuse surprise que constitue le retour sain et sauf de son ministre d'Algérie, le Président se retrouve, sans même sans doute s'en rendre compte, (?) plus proche d'un Aussaresses que d'un Maurice Audin. Mais l'homme n'en a cure. Camus ? Connais pas. Alleg ? Connais pas. La gauche et son rapport au colonialisme ? A quoi bon en tenir compte, c'était il y a 60 ans.

Ce pas de côté par rapport à l'héritage de la Gauche comme de l'image de la France dans le monde depuis le Gaullisme (ou la Révolution de 1789, c'est selon) amène son parti et l'ensemble du peuple de gauche, à contempler, désemparés, ce qui constitue bien souvent des têtes à queue historiques. La volonté de bombarder la Syrie, l'intervention au Mali puis en Centrafrique, cet interventionnisme à tout crin ne peut se comprendre que si l'homme rejette l'ADN de la gauche en la matière. On nous refait le coup de la "mission civilisatrice" chère aux républicains de la fin du XIX° siècle. Que cela ne dérange nullement le milieu journalistique mainstream n'est guère étonnant, mais à gauche cela ne va pas sans remous. Se dispenser de l'ONU, ou travestir ses résolutions est une hérésie de première ampleur pour quiconque qui se dit de gauche. Mépris du multilatéralisme, incapacité à se placer au centre des négociations, c'est renier des dizaines d'années d'histoire de France. Le cas des négociations avec l'Iran est emblématique. La France s'est placée, seule, dans une posture extrèmement dure à l'égard de Téhéran : Non seulement elle n'a pu empêcher l'accord sur le nucléaire mais en plus elle s'est retrouvée isolée, soutenue seulement sur la scène internationale par Israël...

De même, l'atlantisme échevélé du Président est génétiquement étranger à la gauche. Non que la gauche ne fut que communiste par le passé, mais, une fois encore, même ses tendances les plus modérées s'accomodaient de l'Atlantisme que dans la mesure où il offrait un parapluie pratique au communisme soviétique. Or, désormais, par son activisme belliciste le Président fait de la de la France l'avant garde obscurantiste de l'OTAN.

Dépolitiser le monde

On pourrait multiplier à l'envi les exemples de renoncement aux fondamentaux de gauche et tirer la conclusion que F. Hollande est de droite. Rien ne serait plus maladroit. Sa politique est de droite, certes, mais l'homme est dénué de conviction. Quel est son dessein ?  Quel projet de société nourrit-il en secret, que souhaite-t-il réaliser ? Je pense qu'il rêve d'une société totalement aseptisée, où la collaboration de classe s'exercerait d'elle même, un pays débarassé de ses "vieilles lunes" où le patronat serait charitable et le salarié libéral. Sans aspérité le monde, cotoneux et heureux d'être. Hic et nunc le nihilo. Une forme de paradis terrestre naïf, où l'innocence retrouvée permettrait à chacun de s'épanouir. Une "fin de l'histoire" pour un éternel présent. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'il ne soit jamais parvenu à incarner le "changement", alors que cela était si simple après la présidence Sarkozy. En revanche, Hollande est bel et bien ce "maintenant" qui concluait son slogan de campagne. Maintenant mais d'hier il ne saurait être question. Quant à demain, c'est le maintenant qui va arriver. Le hollandisme est donc un "présentisme" permanent qui se débarasse d'un passé trop encombrant et qui n'envisage d'autres lendemains que le présent en mieux. Mais ce présent en mieux ne saurait être l'oeuvre du débat démocratique ou de l'action publique. C'est en rayant le politique, dernier stigmate du passé laissé au présent, que demain sera meilleur.

Tectonique des plaques

Si François Hollande a une conviction c'est celle là. Le politique n'a pas sa place dans la politique. La politique, c'est son truc. La politique politicienne s'entend. Ce qu'aime François c'est la tectonique des plaques. C'est ainsi que l'Everest vit le jour, c'est ainsi qu'il a atteint le Nirvana. Et il est sûr qu'il voudra parvenir au septième ciel une nouvelle fois. "En gouvernant à droite de façon si explicite, en me mettant au service du patronat, se dit-il, je vais mettre à mal l'ensemble de la droite". Car l'UMP est tout simplement éberluée de constater qu'un président prétendument socialiste, mette en place ce que 17 ans de présidence de droite n'avait osé faire. L'UMP perd son espace politique. Après avoir fait la synthèse des années durant au PS rien de plus simple que de l'effectuer du PS à l'UMP en englobant au passage le centre droit. Le débat sur les moyens de sa politique n'aura donc pas lieu. Avec une majorité placée au pied du mur et une droite oscillant entre contentement et crise identitaire, les critiques ne pourront venir que des "partis extrêmistes et/ou populistes" qu'il suffit de nommer de la sorte pour les discréditer. Hollande cherche donc à occuper le centre de ce que l'on nomme le cercle de la raison. Dès lors, il sature l'espace médiatique et politique, reçoit les fleurs de Raffarin et de Gattaz et redonne le sourire à Moscovisci. Le satisfecit de Borloo, de Bayrou. Seule la mauvaise foi de Copé fait tâche, mais elle est si flagrante qu'elle est révélatrice du desarroi du "leader" de l'opposition.

Que reste-t-il alors si le débat sur les moyens n'a pas lieu ? La fin, les objectifs. Or, dans ce domaine, il y a belle lurette que les angles ont été arrondis. En substituant comme il le fait le politique aux statistiques (baisser la dette, résorber le chômage, obtenir des points de croissance etc), F. Hollande ôte tout prise à ses possibles contradicteurs. Car qui veut plus de dette, plus de chômage, moins de croissance ? La droite est prise au piège, le PS sans boussole se rattache à son chef. Restent le FN et le Front de Gauche.

Il est certain que le premier tire profit de la situation. Hollande le sait et s'en délecte. Le FN va capter les suffrages du petit peuple de droite qui voit que son parti naturel l'UMP navigue à vue, entre Charybde Marine et François Scylla. Quant au Front de Gauche, il n'est pas dit qu'il parvienne à rassembler le peuple de gauche totalement désabusé. Le cordon ombilical entre le PCF et le PS n'est toujours pas coupé, à quoi bon voter pour les supplétifs ? Il y a fort à parier que bon nombre d'hommes et de femmes de gauche iront à la pêche ou à Ikéa lors des prochaines élections.

Combien de temps encore ?

Le puzzle est donc en place : Les idées de Gauche ont disparu depuis qu'elle est au pouvoir (ce qui pouvait être pressenti dès l'entre-deux tours). La Droite est totalement désemparée mais ses intérêts gouvernent. Le présentisme est immuable et interchangeable. Il n'est jamais plus à l'aise que dans la confusion, c'est l'art du chaos, l'effacement des frontières temporelles et spatiales. Il est la non-idéologie de la globalisation, le réceptacle du flux, un nomadisme constant, un liquide gazeux très solide. Les élections à venir ne seront qu'un épiphénomène au regard des dynamiques du grand déchirement qui chaque jour se renforcent. Défier l'Histoire c'est se priver d'avenir, le présentisme n'a pas de futur.



19/01/2014
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