PALIMPSESTE

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Grèce : ce qui est inéluctable

La voie est étroite pour celui qui cherche à faire de l’anticipation politique et économique. Il n’est pas rare que son récit, loin de se concrétiser, se transforme en délire fictionnel, à ranger dans la poubelle de l’histoire qui déborde.


Cela dit, la situation grecque actuelle se prêt bien à la tentative. C’est avec une anxiété non dénuée d’excitation que nous attendons toujours le “coup d’après”. Nous sommes, nous Français, encore en position de spectateur, mais nous risquons à tout moment de basculer et de devenir un pion du plateau.


Comme un jeu d’échecs nous avons 2 rois : Le roi blanc (pur et vaillant) c’est le marché, sa reine prend les traits de la BCE, ses deux fous, la France et l’Allemagne, ses cavaliers l’Espagne et l’Italie. Pour les tours on repère le FMI et l’armée. Parmi les pions on compte Papandréou, l’Eglise orthodoxe, les armateurs grecs, les banques hellènes, les agences de notation.


En face le Roi noir (sale et pestiféré) est le Léviathan formé à partir d’une foule de Grecs. Le reste de l’attelage est en revanche très composite, aux intérêts souvent contradictoires, mais doté d’une force de conviction telle qu’il est très contagieux. Purement réactif, il se nourrit des errements des pièces blanches.


Qui sont les joueurs ? Ou plus exactement qui peut jouer ? Qui peut jouer avec l’euro ? Voyons qui a tout intérêt à dissimuler ses propres misères en insistant sur celles des autres ? Voyons d’où vient à l’origine cette crise de la dette ? D’où provient ce mal  qui a causé l’explosion des dettes publiques dans toute l’Europe ? Sans blague, les Etats-Unis, nos plus fidèles alliés, come on se retrouve. Vous n’avez pas un petit souci avec votre dette, votre chômage, votre pauvreté, vos saisies immobilières ? Ah mais oui bien sûr. Mais comme vous avez aussi dans vos mains le dollar, Fitch, Moody’s, Standard and Poors, le FMI, vous essayez de vous gaver une dernière fois avant le précipice qui vous est promis.


Et l’autre joueur ? Qui a suffisamment de pognon pour jouer dans la cour des grands ? Qui cherche à se prémunir de l’effondrement US assuré ? Qui rachète de la dette grecque et y investit massivement ? Qui achète des bons du trésor européens plutôt qu’américains ? Empire du milieu sort de ton antre ! Ben oui quoi, la Chine en somme, le suspens était faible, je l’avoue.


Les Etats-Unis ont pris les blancs vous vous en doutez. La Chine quant à elle fait savoir qu’elle ne rechignerait pas à prendre les noirs pour peu qu’ils le lui demandent. Pour l’heure elle joue sa partition et saute sur toutes les bonnes occasions qui se présentent en rachetant à vil prix les pans entier de l’économie grecque en voie de privatisation massive.


Ainsi lorsque les Etats Unis recherchent le pat, les chinois anticipent le mat.


Car tous les pions blancs cherchent à gagner du temps. En espérant quoi ? Que l’attention reste focalisée sur l’Europe d’abord. Mais aussi pour laisser aux banques le soin de se délester progressivement de leur dette grecque en les revendant à la BCE. Une nouvelle fois on nationalise les dettes, en faisant d’une dette privée moisie une dette publique pourrie. Dans ces conditions, il est certain que l’Euro en pâtira, ce que souhaitent les US pour masquer la dégringolade du dollar. Car alors c’est la BCE elle même qui perdra toute crédibilité, elle sera contrainte pour maintenir l’euro à flots, de faire avaler des potions toujours plus amères à l’ensemble de la zone euro. Rigueur sur cure d’austérité suivie de plans de restructurations immédiatement purgés par une cure d’amincissement et de réduction des coûts.  Sinon, c’est la dévaluation et l’inflation, à savoir les deux piliers de la doctrine monétaire européenne qui s’effondreraient. Si la stratégie des blancs fonctionne c’est l’ensemble des peuples européens qui seront amenés pour plusieurs années encore à se serrer la ceinture provoquant ainsi certainement une très puissante exaspération populaire partout en Europe. La finance européenne tiendra encore officiellement le coup quoique sous perfusion du FMI et des Etats Unis. Les agences de notation deviendront des big brothers en puissance, elles veilleront sur nous, pauvres naïfs irresponsables mais pas innocents pour autant. Nous en baverons, mais nous ne sauverons pas pour autant les US. En mettant à genoux l’Europe, ils n’auront éliminé qu’un concurrent, le plus fragile.


Les noirs ont ils une chance d’emporter la partie ? Déjà c’est le mat qu’ils cherchent. Ils n’ont plus grand chose à perdre, à la différence du joueur blanc qui y joue sa suprématie. Les noirs, je vous le rappelle c’est le peuple grec, soutenu par des fractions hétéroclites d’Espagnols, de Portugais, d’Irlandais etc. Ils ont pour eux la détermination, la sensation très forte d’être victimes d’une injustice, d’une escroquerie globale. Ils sont persuadés d’être dans le sens de l’histoire. Ils sont prêts à gommer leurs divergences pour pouvoir reprendre leur destin en main. La purge d’une violence inouïe à laquelle ils sont contraints depuis plus d’un an et qui va s’accentuer encore ce soir avec le vote du parlement grec en faveur de la nouvelle cure, ne peut provoquer qu’un cataclysme social. Il est possible que la situation devienne insurrectionnelle, il est possible que les Grecs quittent massivement leur pays en ruines, il est possible que ça ravive des tensions nationalistes, quoi d’autre ? Mais que cela ne provoque pas un mouvement d’ampleur, un phénomène historique de premier ordre, c’est tout simplement impensable. Peut-on imaginer un seul instant que ces millions de personnes acceptent cela sans broncher. C’est leur condition d’hommes et de femmes libres qui est ainsi bafouée. Quel que soient le temps et la forme que cela prendra, il est certain que par un effet mécanique la réplique sociale sera de très grande envergure, en Grèce mais pas seulement.


Dans l’immédiat leur emprise sur les événements est assez faible, mais n’oublions pas que leur défaite actuelle sert aussi le joueur noir. Ce dernier les rachète et le moment voulu sera suffisamment fort pour renverser les alliances. Lorsque la situation dégénérera le joueur noir aura racheté aussi les pièces blanches sacrifiées par le blanc.


La crise nourrit la crise. Vous n’êtes pas s’en ignorer que la Grèce est à l’acte II e la tragédie,  que l’Irlande et le Portugal sont en voie de terminer l’acte I, que l’Italie et l’Espagne ont débuté la représentation. Ce qui se passe pour la Grèce actuellement va s’abattre d’ici peu sur ces pays. Les joueurs blancs et noirs poursuivront avec la même stratégie, mais progressivement les failles de la tactique blanche vont devenir de plus en plus visibles, tandis que la stratégie noire n’aura pas encore été dévoilée. La BCE, le FMI, l’Allemagne et la France se seront épuisés en chemin. Ne restera plus qu’un roi blanc fantoche (le marché) et le joueur éreinté.


Un peu comme durant la guerre froide, l’Europe redevient le terrain de jeu favori des deux grands. Les modalités de l’affrontement sont plus subtiles, et un des deux joueurs a changé. Mais demain c’est la Chine qui proposera un plan Marshall pour l’Europe car elle y trouvera son compte et l’Europe son refuge.


21/06/2011
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La Guerre aujourd'hui, le terrorisme dans 15 jours, la réélection dans 1 an.

 Notre dictateur libyen adoré était devenu trop gênant. Les soupçons de financement occulte de la campagne de 2007 et les menaces de révélations sur le “clown” Sarkozy nécessitaient une réaction rapide. Nous voilà autorisés à “recourir à la force” en Libye avec l’aval de l’ONU. La vénérable institution aurait pu faire un package avec le Bahreïn et le Yémen, mais fort curieusement ces voisins de l’Arabie Saoudite ne sont pas le moins du monde menacés d’une quelconque ingérence autre que celle de ladite Arabie.

Dans quelques heures nos avions bombarderont le sol libyen. Nous sommes en guerre. Pendant quelques jours, on ne parlera que des cibles visées. “Objectifs militaires, voies de communications, batteries de DCA, aérodromes. Au bout d’une semaine, tout le monde s’en prendra à Kadhafi parce qu’il placera des otages civils à proximité desdites cibles. Ah le vilain tortionnaire de la Tripolitaine. Le salopard, l’ordure, doit crever. Les paras d’élite s’en chargeront, z’auront droit à une Marseillaise aux Invalides à un te deum à Notre Dame. Gloire à eux. Morts pour la France ?

Dans quinze jours, quand le régime du berger touareg commencera à vaciller et qu’un ou deux avions français auront été abattus, l’alerte sera donnée en France. Vigipirate sera réactivé, des barrières feront à nouveau leur apparition devant tous les bâtiments publics, des militaires en Famas pourront parader patrouiller  dans les halls de gares, tandis que leurs chiens snifferont les poubelles. On se méfiera tout particulièrement des individus basanés. La psychose gagnera la France. Et dans une geste grandiose, notre peuple Français, si grand dans les moments difficiles, fera l’Union Sacrée autour de son président.

Et les Libyens ? Sûr que les insurgés feront un accueil délirant lors du triomphe de Sarkozy à Benghazi. Mais avant cela, il faudra donner l’assaut final. Vaste opération aéroportée au dessus de Tripoli. Remake savant de Suez ou de Kolwezi, la grande muette fera le plein de commentaires élogieux.  

Quand le petit pères des sables devra planter sa tente dans le désert tchadien, nous investirons les divers palais et bunkers pour y détruire au plus vite les documents compromettants. Dans les médias, on appellera ça, “la chasse au trésor de Kadhafi”, quelques millions de pétrodollars en liquide seront exhibés devant nos yeux cathodiques ébahis.

Nous serons alors en avril 2012, tous les partis politiques se seront félicités de cette opération militaro-humanitaire. Sarkozy sera en passe d’être réélu. L’homme des crises, l’homme au sang froid, le génie de Neuilly, restera ancré dans nos mémoires…pour des siècles et des siècles.


18/03/2011
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Israël : une anomalie ?

La récente attaque par Tsahal d’une flottille humanitaire dans les eaux internationales, incite Palimpseste à s’interroger sur la nature de l’Etat d’Israël.

 

Israël est un pays des plus jeunes qui soit. Fondé en 1948, l’Etat hébreu s’est bâti, avec l’accord de la non moins jeune ONU. C’est toutefois par la guerre contre les Etats voisins que le pays s’est construit une identité. Les bases idéologiques d’Israël, à savoir le sionisme, mouvement laïc et nationaliste sont en revanche plus anciennes et remontent au XIX° siècle. Elles apparaissent en décalage avec l’esprit de l’après deuxième guerre mondiale. Le nationalisme était alors en repli dans le monde entier, car perçu comme l’origine des fureurs de la première moitié du XX° siècle. La mode de l’époque était l’impérialisme soviétique ou américain. Cet acceptation quasi unanime de la communauté internationale reposait sur deux éléments déterminants. Primo, la nécessité de permettre aux juifs, et d’abord ceux d’Europe, de garantir leur sécurité future : un Etat juif donc, défendu et gouverné par des juifs, soutenu par les puissances mondiales. Secundo, la réactivation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe cher au président Wilson qu’il avait tenté d’imposer à la sortie du premier conflit mondial et qui avait abouti au redécoupage désastreux de l’Europe suite au traité de Versailles.

Notons au passage qu’en agissant ainsi, on admettait que les juifs formaient un peuple, ce qui est un contresens historique : Tout au plus, les juifs éparpillés sur plusieurs continents formaient-ils une communauté religieuse. La fondation d’Israël est ainsi à contre courant de l’histoire. Paradoxe donc que d’avoir un Etat laïc et un ciment social reposant sur l’appartenance religieuse. Un Etat jeune et laïc donc mais qui trouve sa légitimité dans un recueil de textes religieux antiques que l’on appelle Ancien Testament. La réactivation de l’hébreu, langue du culte devenue vernaculaire,  participe de cette ambigüité : les Israéliens se comporteront en peuple pionnier sur la terre,qui appartenait, pensent-ils, à leurs ancêtres.  Modernité et archaïsme

Suite à la fondation de l’Etat, de nombreux juifs se lancent dans l’aventure des kibboutz, forme de collectivisation agricole librement consentie. Le mouvement laïc est très puissant, la gauche socialiste est alors plutôt dominante politiquement et culturellement écrasante. Cependant, très vite, l’URSS se détourne d’Israël et les Etats-Unis s’en rapprochent, jusqu’à devenir leur bailleur de fonds et leurs alliés inconditionnels.

Il se trouve qu’Israël est aussi une anomalie régionale : seul Etat démocratique du proche Orient, le pays se dote néanmoins de l’arme atomique grâce au soutien de la France. Pays non signataire des traités de non prolifération, non respectueux des résolutions de l’ONU, et en état de guerre quasi permanant, Israël n’a jamais été inquiété. Le caractère démocratique de l’Etat a longtemps servi de justification à la protection absolue que les Etats-Unis assuraient à la tribune de l’ONU comme ailleurs. Cependant, là aussi, il convient de s’interroger sur la nature de cette démocratie israélienne. D’abord, celle-ci ne fait que peu de cas des arabes israéliens : au quotidien un million et demi de personnes voient leurs droits bafoués et leur liberté amputée. Sous citoyens, soupçonnés de déloyauté envers Israël, ils sont relégués dans la vie politique et professionnelle. Ils rejoignent en cela une population officiellement juive, celle des juifs noirs (ou Beta Israël, ou juifs d’Ethiopie), venus de la corne de l’Afrique. Bien que pratiquant le culte judaïque, ces 120000 Israéliens sont mal perçus par la majorité juive blanche et confinés dans les couches sociales inférieures. Victimes du racisme des juifs blancs, ils se regroupent dans des quartiers que désertent les familles blanches. Selon un sondage de 2005, 43% des juifs israéliens blancs ne souhaitent pas que leurs enfants se marient avec un membre de cette communauté. S’instaure donc progressivement une société à plusieurs vitesses où les discriminations légales sont monnaie courante. Drôle de démocratie…

Autre entorse, le mode de scrutin, à la proportionnelle intégrale, suppose des alliances, parfois contre nature, qui profitent d’abord aux partis minoritaires, indispensables pour former une coalition majoritaire à la Knesset (parlement). Par le truchement d’un mode de scrutin défectueux, la majorité de la population se retrouve soumise aux injonctions de partis ultra-minoritaires et extrémistes.

Autre curiosité, la démographie israélienne juive : Les taux de natalité sont proches de ceux du monde occidental (2.7 enfants/ femme) alors que la fécondité des femmes arabes reste proche de 4. Le péril démographique est donc une phobie partagée par beaucoup de juifs israéliens : Ils craignent que la fécondité élevée des femmes palestiniennes et arabo israéliennes ait pour effet de rendre les juifs minoritaires en leur Etat. D’où une politique d’immigration massive à destination des juifs du monde entier. L’objectif étant de compenser le déficit comparatif de naissances. Cette politique a fait preuve d’une redoutable efficacité au moins jusqu’à 2006 : Depuis l’éclatement de l’URSS, plus d’un million d’immigrés russes ou des anciennes républiques soviétiques se sont installés en Israël. Cet apport massif a eu pour effet de déséquilibrer la structuration sociopolitique de la population israélienne. Séfarades d’Afrique du Nord et Ashkénazes d’Europe centrale ne sont plus si majoritaires. Ces juifs russes ont émigré dans un état d’esprit bien différent de celui de leurs prédécesseurs. Goût prononcé pour l’argent, désir fort de revanche sociale, Israël représentait pour eux un Eldorado davantage qu’une Terre Promise. Ils accèdent ainsi à la propriété et se comportent en territoire conquis. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient parmi les mieux représentés dans les fameuses colonies israéliennes. Peu religieux mais ultranationalistes, ils donnent leurs voix aux extrémistes de Lieberman, juif d’origine moldave et désormais ministre des affaires étrangères. Le centre de gravité politique israélien s’est donc largement déplacé à droite depuis leur arrivée.

Reste à s’interroger sur la légitimité d’Israël à mener une politique étrangère et frontalière contraire au droit international. Guerre préventive au Liban, assassinat par les agents du Mossad d’arabes influents dans la péninsule arabique, politique d’exécution ciblée en Palestine, blocus de Gaza, incursions armées en Cisjordanie, colonisation outrancière, et assaut sanglant contre des humanitaires. Au nom de quoi Israël pratique-t-il cette politique désastreuse pour la paix en toute impunité ? Première raison invoquée, Israël a des ennemis : groupes terroristes palestiniens, Syrie hostile et Iran faisant profession de foi d’antisémitisme. Cependant les uns comme les autres sont durement sanctionnés et étroitement surveillés par la communauté internationale. Reste alors le poids du passé, celui de l’holocauste. L’ extrême souffrance et l’entretien de la mémoire du génocide expliqueraient la persistance d’une angoisse commune aux juifs d’Israël quant à leur survie. Cette crainte d’une répétition de l’histoire justifie ainsi l’ensemble de mesures illégales mais vécues en Israël comme une légitime défense. Conjuguée à une repentance commune à tout l’Occident, cette crainte (très profonde mais très improbable aujourd’hui a pour effet de conférer à  la politique d’Israël un régime d’exception.

Or, la mémoire du génocide n’est plus si vivante. Les vieillards d’aujourd’hui étaient des gamins en 42. Pour la génération montante les traces de l’holocauste dans leur famille remontent à la troisième génération. Conscients d’être issus d’un peuple qui a infiniment souffert, ils n’ont en revanche rien eu à endurer de plus que les autres…et singulièrement eu égards à  leurs voisins Palestiniens. Le génocide ne peut plus leur servir de justification et l’agiter sans cesse devient, le temps passant, contre productif. Il n’y aurait rien de plus grave pour les Israéliens et d’incompris dans le reste du monde, que de continuer dans les années qui viennent à entretenir Israël dans son régime d’exception.


03/06/2010
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