De la prospective sur un bateau ivre
La crise est finie, "des perspectives encourageantes", des signes positifs", le "bout du tunnel", une "reprise en vue". Telle est la litanie à la mode en ce printemps 2009 dès qu'il s'agit d'aborder la question de l'état de santé de l'économie mondiale.
Quel crédit accorder à ce discours ? De quoi s'agit-il, sur quoi s'appuie-t-il ? D'abord, ces propos n'ont de sens que pour les seuls Etats-Unis où l'on enregistre, ces derniers temps, un ralentissement de la dégradation. Oui, un ralentissement de dégradation, mais de reprise il n'est nullement question pour l'instant. Ce qui permet d'affirmer que la situation est"moins pire" qu'il y a quelques semaines, repose sur le bilan trimestriel des banques américaines. Ces bilans affichent pour la plupart des gains. Qu'en est il vraiment ? On sait (les pouvoirs publics, les banques, le citoyen bien informé...) que ces bilans sont largement falsifiés. Les actifs toxiques (les prêts que les clients ne peuvent plus rembourser) des banques sont en réalité dissimulés via des techniques de comptabilité ou grâce à des placements réalisés dans des centres off shore où règne la plus grande opacité. La santé réelle des banques américaines est en réalité bien plus grave. C'est pourquoi l'administration américaine, pour y voir plus clair, a décidé de soumettre les 19 principales banques du pays à des "stress test" pour connaître (ou approcher) le niveau réel de leur solvabilité. Les résultats définitifs doivent être publiés ce jeudi. Pour l'heure on sait que plus d'une dizaine d'établissements aurait besoin d'être renflouée (à elle seule Bank of América aurait besoin de 34 milliards de dollars après avoir déjà reçu plus de 40 milliards de subsides de la part des contribuables américains... Vous imaginez, cher lecteur, la bataille politique entre l'administration Obama et les grands banquiers autour de la publication de ces chiffres. Ces "stress tests" ont par ailleurs été réalisés dans des conditions de marché plus favorables que la situation actuelle des Etats-Unis. Ainsi, on peut affirmer que la majorité des établissements bancaires américains est théoriquement insolvable. Pour être le plus précis possible, disons que leur capacité à s'autofinancer dépendra de la capacité de leurs clients à rembourser leurs dettes. Or ces derniers sont de plus en plus nombreux à être au chômage, ou à voir leurs salaires amputés. Nul doute, que le volume d'actifs toxiques détenu par les banques ne se résorbera pas de sitôt. L'Etat américain va devoir remettre une nouvelle fois la main au porte monnaie...*Les banques américaines sont sur une lame de rasoir, plus qu'incertaines de pouvoir faire face à de nouveaux défauts de paiement qui semblent inévitables. Dans ces conditions, elles prêtent peu, ce qui freine d'autant l'investissement, donc la reprise. Les banques américaines s'attendent donc à un été difficile. L'Etat fédéral n'aura, je disais, que peu d'alternatives : soit continuer à renflouer (recapitalisation) les banques, soit espérer un repreneur (peu nombreux quand il s'agit de grands malades donc hypothèse peu vraisemblable), soit nationaliser en partie (notamment à travers la mise en service d'une "Bad Bank" qui récupèrerait les actifs toxiques).
Hypothèse 1 renflouement : Il s'agirait de la poursuite de ce qui a été entrepris jusqu'ici, donc quelque part un constat d'échec de la politique suivie, et peu de garantie pour l'avenir... Hypothèse 2 nationalisation : C'est la redégringolade assurée pour la bourse, et un endettement américain absolument faramineux, risquant de mettre en péril la confiance dans le dollar. Dans les deux cas, le pari est risqué...Reste la mise en faillite de ces banques, décidément plus bonnes à rien et non pas "too big to fail". Nouvelle panique boursière, ruine d'épargnants mais purge réelle du système financier.
Voilà pour la réalité de la situation financière américaine.
Mais alors me direz vous, comment se fait-il que Wall Street et dans son sillage toutes les autres bourses mondiales remontent la pente depuis plusieurs semaines ?
Deux aspects complémentaires pour répondre.
1 Des centaines de milliards de dollars ont été réinjectées dans le système financier global. Il s'agit d'en tirer profit, d'autant que le niveau très bas auquel est retombé le marché boursier autorise des opérations rentables à peu de frais. Il s'agit un peu de l'équivalent en grand (c'est à dire dans la durée et dans le volume global) de ce qu'on appelle communément un "rebond technique". Ce rebond technique est important mais il est d'une taille proportionnelle à l'ampleur de la crise.
2 Tout autre argument, durant la crise de 29 et de la décennie suivante, les bourses mondiales ont aussi connu des périodes de hausse allant jusqu'à 20%. Les mouvements boursiers ne sont jamais linéaires, à la hausse comme à la baisse. La tendance demeure d'ailleurs baissière pour les mois à venir.
On entend souvent que "la bourse anticipe" la situation économique dans les 6 mois à venir. C'est partiellement vrai. Remarquons déjà qu'elle a du mal à anticiper les crises. D'autre part, dicte-t-elle ou anticipe-t-elle la situation économique ?
Toujours est-il que le rebond actuel est théoriquement dû aussi à des statistiques moins mauvaises que prévu ces dernières semaines (consommation, emploi, marché immobilier)**
Prenons l'exemple de l'immobilier : Aux Etats-Unis toujours l'affirmation selon laquelle "les ventes reprennent" s'impose comme un leitmotiv, cependant les prix s'écroulent (en raison d'une augmentation considérable des saisies). Conclusion : Il y a de bonnes affaires sur le marché immobilier ! En même temps le patrimoine des ménages américains se réduit à la vitesse des prix. Ceux qui remboursent leur crédit immobilier, paient à des taux épouvantables pour conserver un bien largement surévalué. Ce sentiment cumulé à un fort endettement n'incite pas, lui non plus, à la consommation !
Le discours largement entendu a donc pour ressort une lecture volontairement partielle de la réalité afin de tenter de rétablir la "confiance". C'est aussi l'occasion pour les investisseurs de se renflouer un peu.
D'ailleurs plus personne ne croit au scénario en V (chute brutale de l'activité suivie d'une reprise vigoureuse) on évoque plutôt désormais une courbe en U (plus longue chute et reprise plus lente) ou en L (chute brutale suivie d'une longue stagnation). Bref, la crise s'installe dans le paysage pour longtemps. 2010 est évoquée au mieux comme une année de très faible croissance (conforme aux scénarii en U ou en L)
Bon et l'Europe maintenant ? Les States c'est bien sympathique mais ici, chez nous...on en est où et KESKIVANOUSARRIVER ? D'après ce que j'ai pu lire, mon pronostic est le suivant : Les banques européennes ont bien moins purgé leurs actifs toxiques que celles des Etats-Unis. On estime à 800 milliards d'euros (1000 milliards de dollars)le volume de ces actifs détenus par les seules banques allemandes. Alors bien sûr, bien que pourris, ces actifs ne vont pas perdre l'intégralité de leur valeur, mais une dépréciation de ne serait-ce que 10% signifierait 100 milliards d'euros à couvrir (soit 4 fois le plan de relance français) pour recapitaliser les banques allemandes. Les actifs à risque détenus par les banques allemandes proviennent pour l'essentiel de l'est européen. Depuis la sortie du communisme, les pays orientaux de l'Europe ont connu une vertigineuse croissance de l'accession à la propriété...cependant, là aussi, la hausse des revenus n'a pas suivi. Les ménages est européens se retrouvent pour beaucoup dans la même situation que leurs cousins d'outre Atlantique. L'Allemagne s'attend à une chute de 6% de son PIB, rappelons qu'il s'agit aussi de notre premier partenaire commercial. Nos autres voisins ne sont guère mieux lotis : la Grande Bretagne renoue avec ses pires années, et songe même (c'est dire !) à intégrer la zone euro. L'Espagne flirtera à la fin de l'année avec les 20 % de chômeurs. Oui, une personne active sur cinq au chômage de l'autre côté des Pyrénées à la fin de l'année. Je passerai sur la situation encore plus catastrophique de certains petits pays (Islande, Irlande, Hongrie, Pays baltes, Autriche, Grèce). Le paradis suisse vacille aussi.
La France, on l'entend beaucoup ces temps ci, "s'en sort mieux que ses voisins". C'est partiellement vrai, pour l'instant. (Pour des raisons qui ne doivent rien avec les mesures politiques de notre bon maître, bien au contraire...mais ce n'est pas mon propos ici) La puissance de la secousse est moindre pour l'instant en France (comme dans les années 30, la France, pour des raisons économiques structurelles (financiarisation moindre de l'économie, pays peu exportateur au regard des autres grandes économies du continent) est frappée avec retard par la crise. C'est en 1933 seulement que la crise atteignit véritablement la France). Mais cela signifie avant tout que la crise va être plus longue en France, et que donc, il y a fort à parier sur un retard lors de la reprise mondiale...si tant est qu'il y en ait une dans un horizon de moins d'un lustre ! L'emploi va continuer de se dégrader. Les révisions de prévision de croissance laissent entendre que son recul sera supérieur à 3% en 2009. 2010 sera au mieux marquée par une stagnation du PIB (+0.2%). Il y a deux mois on nous parlait d'une chute de 1.5%...et d'une reprise dès la rentrée 2009.
Le cap des 3 millions de chômeurs est en réalité déjà largement dépassé(si l'on inclut les DOM et l'ensemble des catégories), les estimations les plus raisonnables font état d'au moins 800000 chômeurs supplémentaires pour 2009. Quant à 2010, aucune prévision mais avec aussi peu de croissance et une incitation aux heures supplémentaires, la réduction des postes de fonctionnaires, on voit mal l'embellie !
Enfin, le reste du monde, très rapidement, non pas par mépris mais parce que si vous êtes déjà arrivés jusqu'ici, vous frôlez l'indigestion :
Le Japon est à l'agonie. Le gouvernement nippon vient de lancer son 6° plan de relance, la production industrielle est en chute libre, le volume des exportations est historiquement bas.
La Chine enfin. Les données sont plus sujettes à caution et de toute façon plus parcellaires. On dit que la crise y est mois grave que prévue. Le discours sur l'état économique de l'empire du milieu est sensiblement le même que celui qu'on veut nous faire gober concernant les Etats-Unis. Les quelques données que j'ai pu croiser font état d'une chute de la production industrielle de l'ordre de 10%, d'une croissance estimée à 6.5% (à comparer aux 9-10% de ces dernières années) et d'une explosion du chômage. Mais tout cela est à prendre avec des pincettes. En fait, le défi de la Chine est de parvenir à développer son marché intérieur pour moins dépendre de ses exportations. Ce que l'on sait de façon sûre c'est que l'Etat chinois, via ses fonds souverains, place moins dans les bons du trésor américain, et a préféré acheter 400 tonnes d'or le mois dernier ! Prudence donc...
Vous l'aurez compris, je suis assez pessimiste (j'espère) mais réaliste (je le crains). La chose la plus insupportable serait en réalité que les rustines empêchent le ballon de se dégonfler totalement. Il est inadmissible que les pouvoirs publics acceptent unanimement de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour relancer ce qui a failli. Il est inadmissible que tous ces beaux esprits libéraux de la veille engagent les deniers de l'Etat pour redonner vie à un système qui cause notre ruine à tous. Si l'on doit sauver les banques (admettons) que l'on se donne au moins les moyens de les contrôler !! En somme, si l'on doit payer une fois de plus pour les riches, que ce soit la der des der!!
*C'est d'ailleurs pour cela que les Etats ont commis une erreur (idéologique) en privilégiant la relance par l'investissement et non par la consommation (la consommation est en berne partout en raison d'une part de la stagnation des salaires et d'autre part d'un surendettement des ménages). La "bulle des pauvres", et ils sont nombreux, se dégonfle : Dans les pays développés, on a en effet poussé les pauvres à s'endetter (prêts immobiliers, à la consommation) comme une soupape de sécurité, comme une promesse d'ascension sociale par l'endettement. Dans ce système, le travailleur pauvre demeure un travailleur pauvre (stagnation salariale) mais vit comme un riche (propriétaire). Ce qui vous le comprenez est intenable.
**On ne peut que sourire, du coup,à ce qui est dit au dessus : Comment se fait il que la Bourse anticipe tout en dépendant de la situation présente ?
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