Gauche radicale : comment se prémunir du risque totalitaire ?
Qu’est ce qui sépare la gauche modérée et la gauche radicale quand les deux sont d’accord pour parvenir au pouvoir par les urnes ? Le rythme annoncé des transformations à opérer et le degré de volonté pour parvenir au bout du chemin. A priori pas de désaccord de fond. Mais la social démocratie a-t-elle vraiment quelque chose à voir avec la gauche dite radicale en matière de politique économique ? En tant que libéraux, les socio démocrates n’envisagent pas la reprise en main de l’économie par les élus. Tout au plus espèrent-ils accompagner le mouvement et l’adoucir quelque peu grâce à une miraculeuse pommade sociale. Mais aujourd’hui, ce discours ne tient plus…et ils en ont conscience.
Donner libre cours à l’économie globalisée, c’est à dire laisser le marché libre en le prémunissant de toute intervention des Etats, revient à imposer des contraintes aux seconds et à garantir l’immunité à la première. Contraintes budgétaires et mise en œuvre de politique dites de rigueur constituent le nec plus ultra de la doxa de l’école de Chicago. Grâce à la crise, il est devenu de notoriété publique que les pouvoirs politiques sont à la botte des financiers et autres agences de notation. Le mécanisme est désormais à nu. Du coup, le grand perdant idéologique de cette crise n’est autre que le néolibéralisme tant il est devenu évident que l’on ne peut pas laisser la finance internationale s’amuser dans son coin hors de tout contrôle. Le débat n’est plus de savoir si l’Etat doit se mêler d’économie mais à quel degré et à quelles conditions il doit le faire. Et cela même les socio démocrates le reconnaissent aujourd’hui. Autre chose est de savoir à quel rythme et s’ils en ont vraiment la volonté. De cela la gauche radicale ne manque pas, on lui reprocherait d’ailleurs plutôt l’inverse.
J’appartiens à ce courant de pensée qui estime que le pouvoir politique doit reprendre la main sur le pouvoir économique, le premier étant détenu en dernier ressort par l’ensemble des citoyens. Souhaiter ce reversement n’est pas suffisant pour dire qu’il s’agit là d’une pensée d' extrême gauche.D’ailleurs, d’autres, bien plus modérés, le disent, certains osent même esquisser des politiques dans ce sens. Mais tout est affaire de dosage. Jusqu’à quel point l’Etat doit-il intervenir dans la vie économique ? Et comment fixer des limites à son intervention ?
Les partisans d’une intervention puissante du pouvoir politique sur la vie économique demeurent confrontés et comme tétanisés par cette double question. Et c’est bien là leur difficulté politique majeure. Nombre de personnes adhèrent de prime abord aux thèses défendues par des hommes comme Jean-Luc Mélenchon. Mais très peu osent franchir le pas. De quoi arguent-ils pour justifier leur “non passage” à l’acte ?
Les arguments conjoncturels ne manquent pas : de la crainte d’une dispersion des voix à gauche, le souvenir de 2002 etc. Mais, cela n’est qu’écume, car au fond ce qui pose problème relève en fait de la dialectique du “je” et du “nous”. Pour faire simple, oui à la solidarité mais quid de ma liberté ? Résorber les inégalités, bien sûr, mais faut-il payer davantage d’impôts ? Et après tout, si je parviens à m’enrichir, je ne le dois qu’à mon mérite personnel. Alors pourquoi partager mon dû ?
L’idéal de la gauche radicale ne pose pas de difficultés préalables pour tout humaniste, en revanche, beaucoup craignent l’après. Une fois au pouvoir, cette gauche ne risque-t-elle pas de mettre en œuvre une politique qui, in fine,réduira certaines libertés, celle d’entreprendre, de spéculer, d’obtenir des abattements fiscaux, ou même celle de m’exprimer ou de pratiquer ma religion ? Ces mêmes personnes qui ont aussi quelques notions d’histoire nous rappelleraient l’URSS, la Chine, Cuba ou le Venezuela. “Est-cela que vous nous promettez ? L’absence de démocratie, les libertés confisquées, la mise au banc de la communauté internationale ? Continuez à rêver de ce monde plus juste, mais je vous en prie, ne faîtes rien pour y parvenir.” Voilà le refrain entonné. L’Histoire, il est vrai, plaide contre la gauche radicale. Et donner des gages de bonne foi ne changera rien à la donne. Alors que faire ? Comment convaincre au delà des acquis à la cause ? Comment rassurer le modéré, comment lui démontrer que nous ne souhaitons pas faire de la France une Corée du Nord ?
Il faudrait commencer par lui rappeler que tenir un discours modéré de nos jours, c’est accepter que l’inacceptable se perpétue. Il faudrait surtout lui parler des garde fous démocratiques que tout gouvernement ancré à gauche se doit de mettre en place. Ne le nions pas, les projets égalitaristes ont souvent sabordé les libertés. C’est conscients de cette histoire qu’il nous faudra gouverner, c’est en la critiquant que nous pourrons convaincre. Au placard Che Guevara et Zapata ! Regardons plutôt Morales et Lula qui, au quotidien, parviennent à lutter avec succès contre les injonctions de la finance internationale. Nous ne cherchons pas à ce qu’il n’y ait plus de riches mais seulement moins de pauvres.
Oh bien sûr, je vois déjà les sourires en coin se profiler : “Quel grand naïf, comment être aussi niais.” A ceux-là je répondrai que l’Histoire n’enseigne qu’une chose : les inégalités sociales ne peuvent s’accroître indéfiniment sans provoquer de cataclysme. Si l’on ne soigne pas le mal, d’autres le guériront avec des remèdes autrement dévastateurs. Une société en voie de paupérisation comme l’est la nôtre doit savoir qu’elle est en danger. Prôner le laisser-faire c’est accélérer sa fin.
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