Et si on repensait l'immigration à gauche ?
L’immigration, et plus spécifiquement la clandestine est sans conteste devenue le tabou majeur de la gauche française. Sa position consiste à dire qu’il s’agit là d’un problème (et certains continuent même d’évoquer une chance) avant tout humain. Avec des nuances, ce propos demeure l’alpha et l’oméga de l’essentiel des représentants de la gauche. Cette façon de penser n’a pas évolué depuis l’ère Mitterrand. Peut-on décemment reprocher à un discours humaniste de résister à l’air du temps ? Non, car les principes fondamentaux ne sont pas négociables. Percevoir les choses ainsi ne saurait donc être périmé. Mais, on le sait, ce discours n’est plus audible aujourd’hui car il apparaît déconnecté de la problématique actuelle de l’immigration. En quoi la donne s’est elle modifiée ?
Accueillir ne va plus de soi
La société française est dans une phase où elle n’est plus en mesure d’accepter le migrant, d’aller vers lui, de lui souhaiter bienvenue. La crise économique et sociale prolongée (presque continue depuis 38 ans !) a sérieusement entamé la capacité d’ouverture des Français. Le chômage de masse, la précarité généralisée, les prestations sociales scalpées, expliquent pour une bonne part la frilosité voire le repli d’une partie croissante de la population sur ce qu’elle estime être ses valeurs, ses traditions, son exception…bref sur un identitarisme national largement mythifié et très étroit dans son acception. Ce n’est pas tant que l’autre fait peur, c’est notre impuissance à guérir nos maux qui effraie. Si l’autre n’est plus accepté c’est parce que nous allons mal et non l’inverse. Le phénomène de rejet auquel on assiste provient non pas d’une montée en puissance de l’autre, mais de notre faiblesse qui nous semble irrémédiable. Et qu’on ne me dise pas que ce rejet est un nouvel aperçu d’un mal bien français, de relents d’une xénophobie typiquement hexagonale. Il n’en est rien : notre pays est en crise sociale, il lui apparaît contre productif dans ces conditions d’accueillir en son sein des éléments allogènes qui viendraient le déstabiliser un peu plus encore. Voilà tout, cela relève plus du bon sens que du racisme. Et vouloir le nier conduit nécessairement à une catastrophe dans laquelle une population majoritaire très chahutée et se sentant abandonnée, libère sa haine sur les plus faibles et non sur les puissants qui pourtant ne les protègent plus.
S’intégrer n’est ni possible ni nécessaire
Ensuite, parce que la nature de l’immigration a changé. Depuis la fin de la politique de regroupement familial, le flux d’immigrants légaux s’est considérablement tari. (la fameuse immigration choisie !) Le principe des vases communicants jouant à plein, le flot d’immigrants clandestins s’accrut considérablement surtout depuis que l’Italie et l’Espagne ont abandonné à leur tour les régularisations massives. Le passage d’une immigration légale à immigration clandestine change la donne. En effet, l’objectif des migrants n’est plus le même. Le clandestin a d’autres objectifs que le migrant légal puisque ces choix sont par nature plus limités : Il ne s’agit plus pour lui d’espérer s’établir durablement dans le pays d’accueil mais d’y trimer un maximum pour un temps qu’il espère le plus réduit possible. Gagner quelques billets clandestinement, quelles que soient les conditions. Vivre au jour le jour sans aucune perspective, être à la merci des employeurs, être toujours prêt à partir si besoin est. Se poser c’est impensable, s’intégrer relève de la chimère.Le clandestin ne peut pas chercher à devenir français, par essence illégal, il ne peut envisager de respecter la loi. Il est sans aucune perspective civique. Consommateur oui, producteur oui, citoyen non. Sachant pertinemment qu’il ne sera jamais accueilli, il mène sa barque comme il le peut sur les chantiers, dans l’hôtellerie, la restauration ou comme domestique. Un marxiste parlerait à son égard de lumpenprolétariat, avec tout ce que cela signifie pour la cause ouvrière à savoir un parasite destructeur, un ennemi objectif de la cause . Etonnant presque que la CGT déploie tant d’efforts pour soutenir leur combat !
Constat accablant : D’un côté une capacité d’absorption pour le moins émoussée, de l’autre un désir d’intégration évanoui.
La gauche face à la redéfinition de la problématique de l’immigration
Face à ses mutations complexes, le discours de gauche s’est peu transformé comme s’il niait l’évidence. Voici donc la gauche socialiste et communiste contrainte de camper sur de grands principes en invoquant les mânes des Lumières, de l’internationalisme militant, avec SOS Racisme et le MRAP pour remplacer Voltaire et Jaurès. C’est triste mais c’est si vrai. Et puis en face, ceux qui n’ont pas la même conception, c’est la bête immonde, l’infâme qu’il faut écraser. Ainsi Rocard trouvait-il judicieux de comparer la reconduite des Roms à la collaboration vichyste. Mais où en est-on arrivé ? S’il faut toujours évoquer le plus horrible pour condamner une action, à quoi cela sert-il, sinon à banaliser le pire ? Ce discours, d’un consensualisme si mollasson (“droit de l’hommiste”) ne trompe plus personne. Nazi ici, Vichyste par là, collabo pour les autres… ce serait si simple. Mais les faits sont têtus, Sarko n’est pas Pétain (ou en tous cas il ne le peut pas), ces gens ne sont pas envoyés à la mort. Aussi injuste soit cette politique, vouloir l’assimiler au pire, c’est décrédibiliser durablement l’opposition qu’elle pourrait rencontrer. On s’indigne, on proteste, on est effaré, très bien. Mais voilà, le hic c’est que ça n’intéresse plus personne. Rien à faire, l’inflation des mots fait momentanément monter la température, puis ça retombe comme si de rien n’était. Et la fois d’après que pourra-t-on faire de plus ? La gauche s’est enfermée dans un discours stéréotypé, une ritournelle bien pensante, inlassablement répétée. Elle a désorienté ses électeurs à force de nier l’évidence. Aujourd’hui l’homme de gauche se trouve très gêné si ce thème arrive à table, car comment convaincre le Français qui galère que la victime c’est le migrant ? Ce n’est que par un “surmoi” politique que les plus honnêtes d’entre nous s’efforcent de distinguer, de nuancer, de ramener à des proportions plus justes les amalgames “zemmouriens” erronés qui pourraient surgir devant la machine à café du bureau ou lors d’un repas de famille. Les vents dominants soufflent dans le sens inverse.
Si cette thématique était décisive pour la majorité des électeurs, il y aurait belle lurette que la gauche aurait cessé d’exister ! Porter un tel discours ne mène aujourd’hui qu’à l’impasse. C’est pourquoi certaines voix de gauche ont cru bon de lever le tabou. Mais pour mieux reprendre le discours identitaire porté par la droite et l’extrême droite ! C’est le cas de personnes comme Manuel Valls qui se plaignent d’avoir trop de noirs et d’arabes dans la ville dont ils sont maires. Dans ce cas, la gauche n’aurait d’autre possibilité que de battre sa coulpe et de ployer sous l’effet des vents contraires. C’est admettre que l’immigration n’est pas d’abord un problème humain mais identitaire ou au mieux culturel. Devant ce nouvel abandon, la majeure partie des élus de gauche campe sur ses positions et répètent à l’envi son credo misérabiliste… Se comporter en humaniste, c’est très bien, mais ça ne règle nullement le problème !Les Français ont compris : Donner des papiers ne rend pas plus Français et c’est dommage. Donner des papiers incite les autres à venir et c’est tragique.
Alors on pourrait toujours laisser croire qu’il est possible de leur donner des papiers, de les soigner, d’éduquer leurs enfants et dans le même temps de fermer les frontières pour les nouveaux candidats, de les empêcher d’accoster, de vérifier toutes les soutes d’avions, les cales des paquebots, d’hérisser la Méditerranée de miradors. Mais cela n’est-il pas contradictoire avec l’humanisme revendiqué ? Faudra-t-il encore accentuer les patrouilles communautaires aux frontières de l’Union, dépenser des millions pour s’équiper de vedettes rapides, gueuler sur nos voisins européens jugés trop laxistes ? Nous ne le savons que trop, ces remèdes n’en sont pas, il est impossible de fermer une frontière aussi longue que la Méditerranée et les Balkans réunis. Malheureusement la position de la gauche n’est donc pas tenable : A la fois inefficace à contradictoire.
Par ailleurs celle de la droite est illégitime puisque l’on ne peut avoir pour seul viatique la reconduite à la frontière. Celle-ci se déroule dans de telles conditions objectives qu’on peut la considérer comme inhumaine. Et sa charge symbolique considérable la fait entrer en réminiscence avec ce qu’il est convenu d’appeler “les heures sombres de la collaboration”. Enfin, c’est comme remplir le tonneau des Danaïdes, des chiffres de reconduite plus élevés ne signifient rien d’autres que le fait qu’ils sont plus nombreux. Dire qu’il faut reconduire 10000 clandestins par an n’a pas de sens, puisqu’on ignore combien entrent et combien sont présents. Mais passons, rendons à Ubu ce qui est à Ubu.
Au final, la position de gauche comme de droite ne divergent que sur la façon de traiter les clandestins déjà présents sur le territoire. Concernant les futurs arrivants la politique mise sur pied est identique : elle comprend deux volets : l’un à l’échelle européenne est répressif : empêcher les clandestins d’entrer dans la forteresse passoire Europe. L’autre est plus préventif et se situe plus en amont. Il s’agit le plus souvent “d’aider” les pays de transit (comme le Maroc) par exemple à mener une politique répressive sur son leur propre territoire.
Le clandestin, idéal néolibéral
On a donc une droite parfaitement consciente que sa politique n’a pour seul effet concret qu’amuser la galerie et une gauche peu disposée à évoquer une mise à jour de son logiciel. Au faux combat nationaliste et identitaire porté par la droite répond une tolérance fallacieuse relayée par la gauche. De part et d’autre donc des faux nez, des postures, de la communication et de longs silences. Or, à y regarder de plus près, l’immigrant, et singulièrement le clandestin, est l’idéal-type du capitalisme contemporain. Ces hommes et femmes, jeunes, capables de parcourir des milliers de kilomètres, de changer de continent pour gagner un peu plus, sont les prophètes de l’aube nouvelle : ils ne demandent rien, n’ont droit à rien. Disponibles par millions, ils travaillent plus longtemps, sont endurants, acceptent tout job. Ils sont les ouvriers modèles, les Stakhanov du XXI° siècle. Ils répondent même aux exigences de pôle emploi puisqu’ils ne refusent rien. Comme les produits qui circulent librement, ils traversent plusieurs frontières avant de se mettre à disposition. S’il leur arrive malheur, aucune inquiétude à avoir, d’autres arriveront. Rien ne les retient, nulle part. La famille ? Quittée. Le pays d’origine ? Trop loin. Les amis, les relations ? Inexistants. Ce flux de main d’œuvre clandestine irrigue nos secteurs les plus prospères en France : le tourisme, le bâtiment, les aides à la personne. Comme c’est étrange. Qui rafle la mise ? L’entrepreneur véreux. Qui y perd le plus ? Le citoyen français. Pourquoi y perd il ? Le recours aux clandestins accroît le volume de travail au noir et réduit les recettes fiscales. Certains emplois qui devraient apparaître sur le marché ne le sont pas. Les salaires ne peuvent augmenter, les droits sociaux sont réduits devant cette concurrence déloyale. Ces personnes, à leur insu, pèsent donc sur les revenus, les conditions de travail de millions de salariés.
Vous avez bien dit moins d’Etat, réduire les droits, geler les salaires, réduire le code du travail en bouillie ? Mais ne s’agit-il pas de l’axe majeur de notre politique socio-économique ? Dès lors, quel intérêt pour les pouvoirs publics de se doter d’une politique et d’instruments capables de juguler véritablement le phénomène de l’immigration clandestine ? “Ah, si seulement nos Français paresseux pouvaient être payés comme eux et s’endetter comme des Américains, nous serions les plus heureux !” c’est en substance ce qu’ils se disent là haut. Et devant une telle évidence, la gauche devrait hurler, renverser la table, estimer que c’est là un atteinte aux droits des Français. Reconnaître au moins que les clandestins sont le cheval de Troie du néolibéralisme dérégulé. Mais non, rien, ce sont des victimes. Et les Français ? Silence.
La droite ment quand elle prétend s’attaquer aux clandestins car son intérêt est qu’ils restent. La gauche est dans le déni car son intérêt est de faire croire qu’elle s’oppose vigoureusement quand elle ne fait qu’acter l’effondrement de notre modèle social.
Et donc que faire ?
Une politique migratoire de gauche consiste donc d’abord à limiter au maximum l’immigration clandestine. Pour cela, plutôt que de laisser entendre qu’on ne peut rien y faire ou que c’est en aidant les pays d’origine qu’on fermera le robinet, il faudrait enfin agir dans nos frontières; c’est à dire durcir la loi pour les employeurs peu regardants, accroître le nombre d’inspecteurs du travail, réévaluer ces missions au sein de l’ Urssaf. Ce type de mesure, dont le coût est minime, voire au final totalement rentable, aurait pour effet de rendre plus difficile l’emploi des clandestins. On évalue leur nombre sur le territoire français dans une fourchette de 200.000 à 800.000, c’est autant d’emplois qui ne sont pas pourvus, autant de cotisations non perçues etc. Il faut “resocialiser” la problématique de l’immigration. Y répondre en sanctionnant les patrons complices et non en remplissant des charters, voilà la réponse. Mais dans notre république est-il encore possible de faire appliquer la loi ? Il faut faire de la lutte contre le travail clandestin une priorité nationale.
Et concernant l’immigration légale, en quoi consisterait une politique de gauche. Selon le principe d’humanité évoqué en début d’article, les migrants légaux doivent avoir une perspective professionnelle en France. Inutile de leur donner l’autorisation d venir pour qu’ils aillent pointer au chômage. Parmi eux, il faut donner la priorité à ceux qui ont les diplômes ou les qualification correspondant aux métiers qui manquent de candidats en France, comme celui d’infirmière par exemple. Mais selon l’adage bien connu, “on ne peut accueillir toute la misère du monde même si l’on doit prendre notre part”, selon quels critères choisir ? Donner la priorité aux anciens ressortissants de l’empire colonial ne serait que justice, favoriser celui qui maîtrise le Français. Nos ambassades auront du travail ! Si les vannes de la migration clandestine sont fermées, ouvrir un peu plus celles de l’immigration légale semblera justifié. Nous pourrions ainsi accroître notre part dans la prise en charge de la misère du monde. C’est bien plus efficace que de vendre des jeeps à l’Algérie pour qu’elle chasse les Mauritaniens en route pour l’exil à travers le Sahara.
Enfin, il faudra un peu se concentrer sur nos frontières ultramarines. Le département français qui est le plus concerné par l’immigration clandestine est la Guyane, la Réunion et les Comores suivent de près. Dans ces zones très pauvres, l’attrait de nos minimas sociaux suffit à expliquer les flux. C’est là qu’il convient de porter l’effort policier. C’est avec le Surinam plutôt qu’avec le Maroc qu’il faut passer des accords bilatéraux. C’est moins vendeur mais bougrement plus efficace.
Au final la France en sortirait grandie, aux yeux du monde et des migrants. Ce serait une noble ambition pour un pays qui se proclame “patrie des droits de l’homme. Elle lutterait activement contre les mafias de passeurs. Dans nos frontières, la lutte contre le travail clandestin serait sans doute populaire et limiterait l’ampleur des pressions qui s’exercent sur le salariat. Ne nous y trompons pas, c’est de conquête sociale dont il s’agit, pas de chasse à l’homme.
Ces quelques pistes d’action sont insuffisantes mais elles me semblent de bon sens. Puissent-elles passer entre les mains d’un responsable politique et donner une nouvelle orientation au discours porté par la gauche en matière migratoire.
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